Identification des habitats essentiels du maskinongé au lac Saint-Pierre

Introduction

Le présent projet s’inscrit dans une démarche entreprise depuis 2010 par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) du Québec et ses nombreux partenaires afin de mettre à jour les connaissances sur le maskinongé et d’en optimiser la gestion. Pour faire le point sur l’état actuel de la pêche au maskinongé dans le fleuve Saint-Laurent et dans le lac des Deux-Montagnes, un suivi des captures a été réalisé de 2010 à 2013, avec la collaboration de trois guides de pêche professionnels. Dans le tronçon du fleuve situé entre Montréal et Sorel ainsi qu’au lac Saint-Pierre, la plus faible abondance de jeunes spécimens récoltés par les pêcheurs sportifs suggère que le recrutement de jeunes maskinongés est plus faible dans ces deux plans d’eau, comparativement au lac Saint-Louis et au lac des Deux-Montagnes (voir Carrier et collaborateurs dans le présent numéro pour obtenir plus de détails).

Certaines activités anthropiques ont des répercussions négatives sur l’écosystème du Saint-Laurent. Elles se sont récemment traduites par une détérioration des habitats aquatiques, notamment au lac Saint-Pierre. Près de 5 000 ha d’habitats de reproduction, d’alevinage et de croissance des poissons dans la plaine d’inondation ont été modifiés en raison de l’intensification des pratiques agricoles, au cours des trois dernières décennies (de la Chenelière et coll. 2014). La disparition de vastes superficies d’herbiers aquatiques depuis le milieu des années 2000 (Figure 1; Magnan et coll. 2017) et la prolifération de cyanobactéries benthiques, qui se développent sur le fond du lac Saint-Pierre (Hudon et coll. 2012), ont également été documentées. Ces herbiers correspondent à des habitats de croissance et à des refuges pour plusieurs espèces de poissons. Cette situation soulève des questions fondamentales par rapport aux effets potentiels des pertes d’habitats sur les populations de grands prédateurs comme le maskinongé. De surcroît, les habitats essentiels de reproduction et de croissance des juvéniles du maskinongé n’ont jamais été identifiés au lac Saint-Pierre, ce qui limite notre capacité à bien orienter les efforts de protection et de restauration d’habitats visant spécifiquement cette espèce. Une étude a donc été mise sur pied pour suivre les déplacements de maskinongés adultes en période de reproduction et de croissance, pour déterminer les caractéristiques d’habitats sélectionnées par les poissons et pour localiser les zones de reproduction et de croissance des juvéniles.

Figure 1 - Abondance et distribution de la végétation aquatique submergée au lac Saint-Pierre, de 2002 à 2016 (tiré de Magnan et coll. 2017).
Figure 1 – Abondance et distribution de la végétation aquatique submergée au lac Saint-Pierre, de 2002 à 2016 (tiré de Magnan et coll. 2017).

Méthodologie

Figure 2 - Émetteur radio (photo du bas) et émetteur acoustique (photo du haut) utilisés pour le marquage des maskinongés. Photo : MFFP.
Figure 2 – Émetteur radio (photo du bas) et émetteur acoustique (photo du haut) utilisés pour le marquage des maskinongés. Photo : MFFP.

L’identification des patrons de déplacement et la localisation précise des maskinongés ont été rendues possibles grâce à l’utilisation des technologies de pointe en télémétrie. Deux types d’émetteurs ont été insérés dans l’abdomen des poissons : un émetteur acoustique, qui est détecté par des récepteurs fixes installés à des endroits stratégiques dans le fleuve Saint-Laurent et ses tributaires (Figure 2) et un émetteur radio muni d’une antenne externe visible sur la portion ventrale du poisson, ce qui permet une localisation précise des spécimens à l’aide d’un récepteur mobile, soit par survol aérien ou par bateau (Figure 3). Au printemps 2017 et au printemps 2018, un total d’environ 80 récepteurs fixes ont été déposés annuellement près du fond de l’eau entre Montréal et le secteur de Gentilly (Figure 4). Ces récepteurs, récupérés à la fin de chaque automne, enregistrent en continu le passage des poissons marqués. Le numéro de l’individu, la date et l’heure de passage sont ensuite extraits et utilisés à des fins d’analyse des déplacements.

Figure 3 - Récepteur radio mobile (photo de gauche) et récepteur acoustique fixe (photo de droite) utilisés pour la détection des maskinongés. Crédit : MFFP.
Figure 3 – Récepteur radio mobile (photo de gauche) et récepteur acoustique fixe (photo de droite) utilisés pour la détection des maskinongés. Crédit : MFFP.

Ces informations nous renseignent sur l’utilisation des habitats et le temps de résidence des maskinongés dans les différents tronçons du fleuve Saint-Laurent et de ses tributaires. Elles permettent également de définir les périodes et les patrons de migration saisonnière de l’espèce. De façon complémentaire, les localisations précises et en temps réel des poissons par télémétrie radio nous fournissent des renseignements sur la localisation et les caractéristiques des sites de rassemblement des adultes en période de reproduction printanière et durant la croissance estivale et automnale.

Figure 4 - Localisation des récepteurs acoustiques fixes ayant servi à mesurer le passage de maskinongés marqués au lac Saint-Pierre en 2018. Les stations installées entre Gentilly et Québec, soit à la droite de la présente carte n’ont pas été représentées.
Figure 4 – Localisation des récepteurs acoustiques fixes ayant servi à mesurer le passage de maskinongés marqués au lac Saint-Pierre en 2018. Les stations installées entre Gentilly et Québec, soit à la droite de la présente carte n’ont pas été représentées.

Résultats préliminaires

Un total de 21 maskinongés ont été capturés à la pêche sportive par les techniciens de la faune du MFFP et grâce à la précieuse collaboration de pêcheurs professionnels, M. Mike Lazarus et M. Marc Thorpe. Au moyen d’une chirurgie, les poissons ont été munis d’émetteurs au cours de l’automne 2016 et de l’automne 2017. La taille des spécimens, composés de mâles et de femelles adultes, variait de 38 à 52 pouces (Figure 5). Les travaux d’implantation des émetteurs menés par les techniciens de la faune du MFFP se sont très bien déroulés. Tous les maskinongés ont été repérés à au moins une occasion, soit 6 à 18 mois environ après avoir été marqués, ce qui indique que l’ensemble des individus ont survécu après la chirurgie.

Dix individus marqués à l’automne 2016 ont été suivis en bateau et par survol aérien entre le 25 avril et le 24 mai 2017. Au cours de cette période, qui inclut la migration vers les sites de reproduction et les activités de fraye, 112 localisations précises d’individus marqués ont été notées. L’habitat sélectionné par chaque individu a également été caractérisé (végétation, substrat, température, vitesse du courant, teneur en oxygène, profondeur, etc.). Les localisations enregistrées au printemps 2017 ont montré que l’ensemble des maskinongés marqués au lac Saint-Pierre au cours de l’automne précédent utilisaient le secteur du lac Saint-Pierre pour se reproduire. Les données ont révélé que 38 % des individus repérés par télémétrie radio ont utilisé des tributaires du lac Saint-Pierre en période de reproduction (avril-mai). Des spécimens ont été localisés dans les rivières du Loup, Saint-François, Nicolet ainsi que dans le chenal Tardif (branche de la rivière Saint-François). Après la reproduction, ces individus ont effectué une migration vers des habitats d’alimentation situés dans le fleuve Saint-Laurent. Le reste des individus ont utilisé des baies du lac Saint-Pierre en période de fraye. En période printanière, les maskinongés se trouvaient à des profondeurs variant de 0,6 à 8,2 m (moyenne : 3,1 m), dans des zones de faible vitesse du courant, en majorité sous 0,1 m/s. Dans la majorité des cas, les maskinongés se trouvaient dans des habitats qui présentaient une végétation submergée d’abondance modérée à élevée.

L’analyse des déplacements observés en 2017, basée sur les données enregistrées par plusieurs dizaines de récepteurs fixes, a montré qu’après la période de reproduction, la majorité des poissons marqués à l’automne 2016 au lac Saint-Pierre ont séjourné dans ce plan d’eau au cours de l’été et de l’automne 2017. Toutefois, en période d’alimentation et de croissance estivale, 60 % des individus ont effectué des migrations à grande échelle vers le tronçon du fleuve situé entre Montréal et Sorel, certains atteignant même les stations situées près du pont Jacques-Cartier, à Montréal.

Afin de suivre les déplacements des 21 individus marqués, les travaux de suivi télémétrique se poursuivront en 2018 et en 2019. L’ensemble des résultats recueillis au cours du présent projet permettra d’identifier et de cartographier les habitats préférentiels du maskinongé, notamment les sites de reproduction, qui pourront ensuite être protégés ou restaurés au besoin. Les résultats préliminaires de 2017 soulignent déjà le rôle des marais peu profonds du lac Saint-Pierre et de certains de ses tributaires pour la reproduction de l’espèce. Il sera important de valider ce constat au cours des prochaines années, d’estimer le rôle que jouent ces divers secteurs dans le recrutement de l’espèce et d’évaluer l’état de santé des habitats qu’on y trouve. De plus, les migrations sur de grandes distances rapportées en 2017 soulignent que la gestion du maskinongé et de ses habitats doit se faire minimalement à l’échelle de l’ensemble du tronçon fluvial étudié, incluant la portion en aval des tributaires. Ce constat est appuyé par les résultats de la structure génétique des populations du fleuve, qui ont démontré l’homogénéité du bagage génétique de la population de maskinongé dans le tronçon situé entre le lac Saint-Louis et le lac Saint-Pierre (voir Rougemont et collaborateurs dans le présent numéro pour les détails sur la génétique des populations).

Figure 5 - Distribution en taille des maskinongés marqués au lac Saint-Pierre.
Figure 5 – Distribution en taille des maskinongés marqués au lac Saint-Pierre.

Mise en garde aux pêcheurs

Si vous capturez un maskinongé marqué, vous devez le relâcher après avoir pris en note le numéro du poisson et le numéro de téléphone inscrits sur l’étiquette située à la base de la nageoire dorsale (il est souvent nécessaire de gratter la surface de l’étiquette pour bien voir les numéros qui y sont inscrits). Attention, il est primordial d’éviter de sortir le spécimen de l’eau et de limiter le temps de manipulation. D’ailleurs, ces conseils s’appliquent à l’ensemble des captures de maskinongés, qu’ils soient marqués ou non. Contactez ensuite un biologiste du MFFP au numéro inscrit sur l’étiquette externe afin de lui fournir la date, le lieu de capture et, si possible, des photos de la partie ventrale du poisson.

Remerciements

Nous tenons à remercier tous les partenaires qui ont participé au financement et à la réalisation des travaux de télémétrie. Un merci tout particulier aux pêcheurs professionnels, M. Mike Lazarus et M. Marc Thorpe, pour leur soutien lors du développement de l’étude et pour leur participation à la capture des spécimens. Merci également à M. Florent Archambault, M. Nicolas Auclair, M. Rémi Bacon, Mme Virginie Boivin, Mme Chantal Côté, M. Charles-Étienne Gagnon, M. Guillaume Lemieux, M. Yves Paradis et M. René Perreault pour leur soutien logistique et pour tous les efforts déployés sur le terrain. Le projet est rendu possible grâce à la collaboration et au soutien financier du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, du Comité ZIP du lac Saint-Pierre, de Muskies Canada, de la Fondation de la faune du Québec, du Groupe Thomas marine, de la Fondation héritage faune (Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs) et certains donateurs privés.

Références

De la Chenelière, V., P. Brodeur et M. Mingelbier (2014). Restauration des habitats du lac Saint-Pierre : un prérequis au rétablissement de la perchaude. Le Naturaliste canadien. 138 (2) : 50-61.

Hudon, C., A. Cattaneo, A.-M. Tourville Poirier, P. Brodeur, P. Dumont, Y. Mailhot, Y.-P. Amyot, S.-P. Despatie and Y. De Lafontaine (2012). Oligotrophication from wetland epuration alters the riverine trophic network and carrying capacity for fish. Aquatic Sciences. 74 : 495-511.

Magnan, P., P. Brodeur, É. Paquin, N. Vachon, Y. Paradis, P. Dumont et Y. Mailhot (2017). État du stock de perchaudes du lac Saint-Pierre en 2016. Comité scientifique sur la gestion de la perchaude du lac Saint-Pierre. Chaire de recherche du Canada en écologie des eaux douces, Université du Québec à Trois-Rivières et ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. vii + 34 pages + annexes.

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